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POURQUOI N'A-T-ON PLUS PEUR DU SIDA ?

L’ombre du sida a toujours survolé la sexualité de la génération Y. Alors qu’aujourd’hui le VIH est devenu une maladie chronique, aurait-on tendance à ne plus en avoir peur ?

Campagne Aides de 2002

“Bonjour, […] Je suis là pour parler de moi, je n’ai pas l’habitude étant donné qu’avant, d’autres le faisaient à ma place. On parlait de moi tout le temps, partout, je passais à la télé, c’était la consécration. Mais là, je sais pas, j’ai l’impression qu’on m’oublie. Je le prends pas mal hein, au contraire. Et puis le plus important au fond, c’est que, moi, je les oublie pas les gens” : en juin dernier, la campagne de prévention contre le sida lancée par l’association Aides et intitulée Je suis là n’est pas passée inaperçue. Dans ce spot, la maladie -à travers la voix de Gaspard Proust- s’adresse directement à nous.

Le spot de prévention de l’association Aides

Campagne axée sur le digital, personnification du sida via les réseaux sociaux et ton jeune, le public concerné est clair : “On visait une cible connectée, plutôt jeune”, confirme Christian Andreo, directeur délégué général de l’association Aides. L’objectif? Interpeller -“On parle d’une awareness campaign”-, et rappeler que “le sida est toujours là”. Mais pourquoi cette piqûre de rappel ? Aurait-on ces dernières années oublié d’avoir peur du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ?

Nés sous le signe du sida

1981. Une mystérieuse maladie fait son apparition et très vite, elle devient un problème sanitaire mondial : le syndrome d’immunodéficience acquise (sida) détruit les défenses immunitaires du malade et le tue. L’affection est hâtivement baptisée “cancer gay”, la communauté homosexuelle étant la première touchée, mais rapidement les scientifiques se rendent compte qu’elle est susceptible d’atteindre tout le monde et se transmet par voie sanguine ou sexuelle. Au début des années 90, beaucoup d’idées reçues liées au manque d’informations et à la peur circulent encore sur le virus, et notamment sur ses modes de contamination. Les personnes atteintes, et plus particulièrement les homosexuels, sont stigmatisées. Personne n’a oublié le baiser sur la bouche de Clémentine Célarié à un séropositif lors de la soirée du Sidaction en 1994 :

C’est dans ce contexte que la génération Y, née dans les années 80, a grandi, le spectre du sida au-dessus de la tête. Elle n’a jamais connu la sexualité sans son premier rempart : le préservatif. “Je suis né l’année de la découverte du sida, précise Antoine, 32 ans, j’ai toujours vécu avec ça dans la tête et clairement, il n’a jamais été question dans ma vie sexuelle que je couche avec quelqu’un sans capote.” Même antienne chez Alexis, 23 ans : “Je me souviens avoir eu des cours sur le sujet à l’école avant même d’avoir des relations sexuelles donc ça a toujours été présent dans ma vie.”

Ceux qui n’ont pas lu Jo se souviennent sans doute des images marquantes des Nuits Fauves ou de Philadelphia.

La génération Y est en effet la première à avoir été sensibilisée aux risques dès le plus jeune âge. À l’époque, et c’est encore le cas aujourd’hui, la prévention des maladies sexuellement transmissibles (MST) -le VIH en tête- est, avec la contraception, l’une des obsessions des professeurs durant les cours d’éducation sexuelle. Ceux qui n’ont pas lu Jo, une bande dessinée traitant de la maladie publiée en 1991, se souviennent sans doute des images marquantes des premiers films évoquant la maladie, à l’instar des Nuits Fauves, de Philadelphia ou encore de Kids. Et ils ont forcément encore en tête ce refrain entêtant, que l’on doit à Raggasonic, passant à la radio en 1991 : “J’entends parler du sida. Il est passé par ci, il est passé par là. Une chose est sûre, c’est qu’il ne passera pas par moi.”

J’entends parler de Raggasonic

2 janvier 2002. Treize ans après, Antoine se souvient encore précisément de la date : “Quand j’ai fait ma trithérapie, j’avais 20 ans.” Il vient de coucher avec un mec croisé sur un site de rencontres et ce dernier lui annonce juste après qu’il est séropositif. Ils ont mis un préservatif mais rien pendant la fellation. “À l’époque, il y avait une campagne qui tournait dont le slogan était ‘la bouche aussi est un organe sexuel’. J’ai surflippé, deux heures plus tard, j’étais aux urgences.”

​“La bouche aussi est un organe sexuel”: l’affiche de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES)

Il se rend à l’hôpital avec une amie, ne se sentant pas “d’y aller seul”. “J’avais peur du regard des gens car ça reste une maladie associée à des images dures, le mec séropo, c’est le mec de Philadelphia à la fin, le visage ultra émacié, avoue le trentenaire, mais le personnel médical a été hyper sympa, il a essayé de me rassurer.” Mis sous trithérapie, Antoine vit ensuite “6 mois de galère intense”: “J’avais 3 énormes cachets à prendre tous les matins, une demi-heure plus tard, je vomissais tout. J’ai dû retourner à l’hôpital toutes les deux semaines pour faire une prise de sang pendant six mois et ensuite, une fois par mois les six mois suivants.” Si l’histoire s’est bien terminée, elle reste un très mauvais souvenir: “J’ai eu peur pendant toute la période du traitement, se remémore Antoine, je me disais que si mon corps réagissait aussi violemment, c’est qu’en face, il devait y avoir des trucs dégueus.”

“T’as pas envie de casser un truc quand tu ne l’as pas sous la main, donc tu zappes et après, bien sûr, tu regrettes et tu te dis que tu as été con.”

À l’époque, toutes les campagnes de prévention mitraillent le même refrain: le préservatif est le meilleur moyen de se protéger des MST. La capote est donc devenue un réflexe, le test VIH une étape dans le couple ou une façon de se rassurer après un oubli ou un accident. Et puis, les années ont passé et les choses ont changé. Les traitements -la trithérapie a fait son apparition en 1996-, se sont améliorés, le sida est devenu moins présent dans les médias et le préservatif a eu tendance à se faire oublier. Dans une enquête Ifop de mars dernier, 42% des jeunes entre 15 et 24 ans ont déclaré ne pas en avoir utilisé lors de leur dernier rapport sexuel. C’est déjà arrivé à Alexis qui invoque “l’excitation du moment” et lâche: “T’as pas envie de casser un truc quand tu ne l’as pas sous la main, donc tu zappes et après, bien sûr, tu regrettes, tu te poses des questions et tu te dis que tu as été con.”

Une maladie pas banale, banalisée

“Le VIH n’est pas une infection banale, même si elle s’est banalisée”, regrette Olivier Schwartz, directeur de l’unité virus et immunité à l’Institut Pasteur. En effet, si l’on regarde les chiffres, ils n’ont absolument rien d’anodin. Aujourd’hui, 37 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde, dont 25 millions en Afrique subsaharienne. Ces 15 dernières années, 25 millions de personnes sont décédées des suites de maladies liées au sida. Des statistiques qui donnent le vertige. “Le VIH est le virus responsable du plus grand nombre de morts chaque année dans le monde, devant ceux de la grippe et des hépatites”, rappelle Olivier Schwartz. En France, environ 150 000 personnes sont séropositives, et près d’un tiers l’ignore. Le nombre de nouvelles contaminations chaque année –environ 6000- reste stable. Depuis quelques semaines, on peut se procurer un kit de dépistage rapide en pharmacie pour une vingtaine d’euros.

“En France, on ne meurt quasiment plus du sida.”

Si les premières années de la pandémie ont été effroyables -elle fait encore des ravages dans certaines régions du monde, faute de dépistage et de traitements-, cette dernière est maintenant maîtrisée dans les pays riches. En mars dernier, un premier cas de “guérison” a d’ailleurs été observé aux États-Unis : le système immunitaire de l’enfant, contaminé à la naissance et mis sous traitement moins de 30 heures plus tard, peut contrôler lui-même le virus tellement ce dernier est devenu faible. “En France, on ne meurt quasiment plus du sida, explique Christian Andreo de l’association Aides, ça peut arriver si l’on ne soigne pas, si les gens ne sont pas dépistés à temps et arrivent très tard dans la maladie mais ça reste très rare.” Et “ceux qui sont soignés mènent une vie normale ou quasi-normale”, ajoute Olivier Schwartz.

Une communication difficile

Dans ces conditions, communiquer sur le VIH devient complexe. Comment dire qu’il faut continuer à se protéger sans être alarmiste pour autant ? “La difficulté est d’être sur une communication post-crise, analyse Christian Andreo, c’est une maladie grave dont il faut se protéger, qu’il faut dépister et soigner mais pour laquelle il existe des solutions et des traitements efficaces.” La peur est donc à manier avec précaution: “On a fait des campagnes trash, se souvient le directeur délégué général d’Aides, tout l’équilibre consiste à présent à maintenir un niveau d’alerte et à dire la vérité sur la maladie qui n’est plus la même aujourd’hui que dans les années 80-90.” Et de rajouter : “Je ne pense pas que la peur soit la bonne solution pour que les gens se fassent dépister”.

La tête de mort : campagne Aides de 2002

C’est bien l’avis de Lucie, 23 ans, qui a publié il y a quelques mois, sur le site Konbini, un texte intitulé Le VIH, un mal comme un autre. Elle y écrit : “Ma réflexion autour de la banalisation du VIH a commencé le 2 mars, à la soirée (…) du Sidaction (…). Une phrase pendant le discours de Line Renaud (…) a retenu mon attention. Deux tiers des jeunes en France n’ont plus peur du sida. Elle a dit ceci juste après avoir affirmé que ‘27 % des jeunes pensent qu’il y a un remède’ sur un ton fataliste, alarmiste, dramatique presque, pesant tous ses mots. Sur le moment, j’ai eu envie de hausser les épaules et dire ‘Et alors ? Moi non plus je n’ai pas peur du sida, est-ce que c’est vraiment grave si on n’en a pas peur ?’”

“Je suis une femme, je suis blanche, je suis hétéro, j’ai 20 ans, je ne remplis aucun des clichés sur le VIH.”

Depuis trois ans, Lucie est séropositive : “Je suis une femme, je suis blanche, je suis hétéro, j’ai 20 ans, je ne remplis aucun des clichés sur le VIH.” D’ailleurs, le virus ne lui a jamais vraiment fait peur : “J’avais 15 ans quand j’ai commencé ma vie sexuelle, les IST (Ndlr : les infections sexuellement transmissibles), j’y pensais mais je n’avais pas spécialement peur, c’est plutôt le risque de grossesse qui me faisait flipper.” Elle a appris sa séropositivité le jour d’une opération chirurgicale qui n’avait rien à voir : “Ça n’a pas été l’électrochoc, je me suis dit que ça allait changer ma vie dans une certaine mesure mais que ce n’était pas la fin du monde”, raconte-t-elle. Lucie avait eu deux rapports non protégés quelques mois avant : “Un garçon avec qui il y avait eu fellation, que je n’ai jamais réussi à recontacter et un autre avec lequel j’avais eu une relation quelques semaines, ce dernier m’a assuré après qu’il était séronégatif.” Du coup, elle n’a jamais vraiment su, et au début, ça lui a “pesé”. Lucie prend aujourd’hui trois pilules par jour, “entre 19h30 et 20h30 en mangeant” et c’est devenu un automatisme -“Ça a dû m’arriver d’oublier dix fois en trois ans”. Des effets secondaires, elle n’en a pas beaucoup : “J’ai le coin de l’œil un peu jaune et parfois mal au ventre.”

Le VIH, une maladie comme une autre?

Aujourd’hui, le sida ne lui fait “pas plus peur que n’importe quelle autre maladie”, assure Lucie, qui a le sentiment qu’“on utilise la même rhétorique que les dix premières années alors que tout a changé : c’est un virus qui est super grave car quand il est là, il est là, mais il est gérable, c’est une maladie chronique comme le diabète. Il y a plein de gens qui ont des traitements à vie, je ne suis pas la seule”. Elle lance: “Et puis, je ne suis jamais malade, j’ai un virus mortel dans le corps mais je ne suis jamais malade.”

De son côté, Isabelle, 27 ans, a toujours vécu avec le virus : “Je suis née séropositive, ma mère l’était quand elle a accouché mais elle ne le savait pas et elle me l’a transmis à la naissance.”

“On est tous concernés par le sida” : campagne Aides de 2004

Apprenant sa séropositivité seulement sept ans plus tard, la mère fait dépister sa fille dans la foulée : elle est positive elle aussi. Isabelle se souvient “être allée à l’hôpital tous les mois” sans savoir pourquoi. À l’époque, elle ne demande pas pourquoi elle doit prendre des médicaments. Pourtant, “au départ, le traitement était lourd, il fallait que je le prenne toutes les six heures, ma mère venait me réveiller dans la nuit pour me donner des cachets, je n’en ai aujourd’hui aucun souvenir, je ne sais toujours pas pourquoi je n’ai pas posé de questions”. Ce n’est qu’en seconde qu’Isabelle commence à questionner sa mère : “Je suis tombée de haut le jour où je l’ai appris, j’ai pensé que c’était foutu pour moi et je suis restée à la maison pendant trois mois car je ne voulais plus voir personne, j’ai eu beaucoup de mal à accepter le fait d’être malade.”

“Les gens ne se rendent pas compte de la lourdeur des traitements et des effets secondaires qui s’ensuivent et qui peuvent être très contraignants.”

Aujourd’hui Isabelle, qui a une charge virale indétectable, le vit “plutôt bien”. Elle estime que désormais, “notre génération n’a plus vraiment peur, maintenant qu’il y a des traitements et que l’on ne meurt plus vraiment du sida, du moins en France.” Vincent, 38 ans, séropositif depuis sept ans, est du même avis : il a le sentiment “que certains considèrent que c’est une maladie de vieux” et s’il n’a pas l’impression “que les gens ont oublié”, il pense qu’ils ont “intégré les évolutions en matière de traitement, de protection et de prévention”. Le temps passe et le traumatisme collectif des premières années commence à s’effacer avec les nouvelles générations. “Celles qui arrivent n’ont pas connu les images traumatiques de l’épidémie entre 1984 et 1996 et au fur et à mesure, elles s’estompent, analyse Christian Andreo, de l’association Aides. Est-ce qu’on doit le regretter? Je ne suis pas sûr…” Alexis, lui, reste quand même “flippé” : “C’est pas tellement le fait d’en mourir, c’est surtout une contrainte de traitement.” Isabelle confirme: “Les gens ne se rendent pas compte de la lourdeur des traitements et des effets secondaires qui s’ensuivent et qui peuvent être très contraignants.”

Une stigmatisation persistante

Si le VIH peut maintenant être médicalement pris en charge, il n’en reste pas moins une maladie socialement marquée. Les débuts de la pandémie ont immanquablement laissé des traces. “Il y a une image résiduelle de ce que ça a pu être avant les traitements, déplore Christian Andreo, le poids des stigmatisations est encore là.” Puis, c’est l’une des rares affections où la responsabilité du malade peut être invoquée, notamment en ce qui concerne ses pratiques intimes : “Quand vous dites que vous vivez avec le virus, la question qui vient après, c’est ‘Comment tu l’as attrapé ?’, résume le directeur délégué général d’Aides. Ça renvoie à des questions sur sa sexualité ou sur sa prise de drogues et c’est difficile de parler de ça.” C’est ce qui explique selon lui que peu de personnalités publiques évoquent ouvertement leur séropositivité, à l’instar de Charlotte Valandrey. Vincent, qui participe depuis quelques mois au programme Iccarre du Dr. Jacques Leibowitch -qui consiste à alléger les traitements-, estime qu’“au début, c’est dur car on a l’impression que personne ne va l’accepter et après, au fil du temps, ça devient quelque chose de plus aisé”.

“Il y en a qui l’ont accepté, d’autres pas. La peur et l’ignorance les arrêtaient.”

Antoine, lui, aurait pu “faire une bêtise” s’il avait été diagnostiqué positif après sa trithérapie en 2002 : “Je pourrais vivre avec ça médicalement parlant mais ça me déplairait fortement car, lorsque tu dis que tu es séropo, les gens te regardent mal, je suis déjà pédé, j’ai pas besoin de ça.” Depuis le début, Isabelle s’est toujours donné pour règle de l’annoncer préalablement à ses partenaires : “Il y en a qui l’ont accepté, d’autres pas. La peur et l’ignorance les arrêtaient.” Il y a des jours où Lucie se dit “putain, merde, fait chier” et elle trouve qu’il y a dans l’ensemble beaucoup de “travail pédago” à faire : “On me pose souvent plein de questions. Au moment de le dire, je sais que ça va partir dans une longue discussion.” Lucie s’interrompt puis reprend : “Parfois, j’aimerais bien être une fille qui boit un coup, qui va chez un mec, qui fait l’amour et voilà.”

Source : CHEEKmagazine.fr - 1er octobre 2015


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